La mort d'Apollinaire Agboyibo où la fin d'un sapeur-pompier du mouvement populaire*
Le 5 octobre 1990, la jeunesse de Lomé se soulève. Elle est aussitôt suivie par les travailleurs, par toutes les masses populaires et c'est tout le pays qui s'embrasse. Plus que jamais le peuple togolais veut en finir avec ce pouvoir pour qui il a du mépris. Bref, l'autocrate est complètement désarçonné et il cherche désespérément à gagner du temps; à contenir cet impétueux mouvement populaire. Ainsi, il n'y a rien de mieux que de détourner ce mouvement sur des questions juridiques ; en faisant croire que tout cela est une affaire de réforme constitutionnelle. C'est à ce but que répondait la mise sur pied d'une commission constitutionnelle en novembre et décembre 1990. Mais qui trouve-t-on au premier rang de cette commission bidon ? Apollinaire Agboyibo bien entendu en compagnie des barons du RPT.
Il faut reconnaître que la manoeuvre n'a pas réussi, puisque loin de se calmer, le mouvement populaire ne cessait de s'étendre. La fameuse commission constitutionnelle fut donc enterrée. Pendant toute cette période, la complicité d'Agboyibo avec l'autocrate et son système était plus qu'évidente. A tel point que pour tenter de lui façonner une image de démocrate, on a dû recourir, connaissant la mentalité des masses, à cette histoire magico-mystique d'une prétendue bagarre avec Eyadema, suivi de sa disparition de Lomé II et de sa réapparition à Kouvé avec un fauteuil de l'autocrate ! Voilà comment Agboyibo fut imposé dans l'esprit des togolais comme un "opposant" voir un "démocrate".
Trois mois après cette histoire magico-mystique, le 12 mars 1991, les étudiants de l'UB -aujourd'hui UL- déclenchèrent un puissant mouvement de grève. Très vite, le mouvement s'étend aux établissements scolaires à travers tout le pays. Puis ce sont les femmes de Lomé et les masses qui bravant les militaires descendent dans la rue pour appuyer le mouvement estudiantin. Un certain flottement commençait à se manifester au sein des forces de répression et une grève générale semblait inévitable. C'est alors qu'une fois de plus Eyadema fit appel à Agboyibo pour "trouver une solution". Ce dernier venait avec d'autres personnalités de créer le FAR -Front des associations pour le renouveau- dont il était le président.
Le FAR avait affirmé son soutien aux étudiants, puis avait lancé un appel pour une manifestation le 16 mars 1991: c'était là une manoeuvre habile pour accompagner le mouvement afin d'en assurer le contrôle et de pouvoir l'orienter et le désamorcer. Une fois de plus Madjé Agboyibo était dans son rôle tel qu'il l'a inauguré lors de l'affaire de la chefferie traditionnelle de Kouvé qui opposait en 1976 la population de Kouvé à l'autocrate Eyadema. Dans ses vils manoeuvres, il a toujours trouvé une solution qui désamorce le mouvement populaire de lutte et arranger les affaires du pouvoir autocratique.
C'est ainsi qu'on a abouti à la commission mixte paritaire que Agboyibo et ses ouailles ne cessent de présenter comme un acquis, alors que c'était une manière de détourner le peuple de sa lutte et de sauver la mise à Eyadema. Le FAR a, en effet, offert une véritable bouée de sauvetage au pouvoir en dérive. En tendant la main à l'autocratie, en établissant le dialogue avec elle, Apollinaire Madjé Agboyibo a contribué à légitimer et à lui redonner des ressources morales suffisantes; le délai nécessaire pour se relever. Sans nul doute, la commission mixte paritaire, le forum national de dialogue ou encore la conférence nationale souveraine sont la même traduction d'une même ligne politique ; celle du dialogue avec l'autocratie. Peu importe le nom qu'on lui donne, le résultat est le même. A travers l'accord Cadre de juillet 1999, Apollinaire Agboyibo et ses compères ont simplement fait le lit de Faure Gnassingbé.
L’accord cadre de Lomé en juillet 1999, est un exemple parmi d’autres de cette « solution de consensus » initiée par Apollinaire Agboyibo pour éteindre le feu de la lutte populaire chez-nous. On se souvient de tout le tapage dont il fut l’objet. La fameuse « communauté internationale » et Jacques Chirac étaient présents en apportant leurs cautions; des «facilitateurs» avaient été désignés, qui devaient veiller au bon déroulement des négociations, à l’issue desquelles de nouvelles élections étaient prévues. Bref, le «processus démocratique» était en marche !
Ceux qui avaient osé élever leur voix pour mettre en cause une telle démarche, étaient alors traités de tous les noms. On les accusait de n’y rien comprendre à la situation, d’être peu qualifiés pour donner des leçons de démocratie, loin des réalités et installés dans le confort à l’étranger; c’étaient des diviseurs de l’opposition, des empêcheurs de négocier en paix. Ce sont les mêmes accusations qui reprennent d’ailleurs aujourd’hui, et toujours par les mêmes auteurs qui décidément, sont prompts à oublier les leçons du passé, et restent aveugles à l’expérience de la vie.
Car de toute évidence, et comme il fallait s’y attendre la démocratie n’a pas fait un seul pas de plus, alors que ces tractations étaient le pain béni pour le pouvoir Eyadema, qui y gagnait une nouvelle légitimité c’est-à-dire concrètement, la fin de la remise en cause du hold-up électoral de 1998 et de l’assemblée nationale issue de cette mascarade électorale.
L’autocrate Eyadema pouvait le plus tranquillement au monde, faire procéder, comme on a pu le voir, au «toilettage» et au «dépoussiérage» de la constitution néocoloniale de septembre 1992. Bref, cet accord n’a eu pour résultat que de donner une apparence de légalité aux mauvais coups manigancés par Eyadema pour assurer la pérennité de son pouvoir, et pour préparer sa succession.
A travers l'accord Cadre de juillet 1999, Apollinaire Agboyibo et ses compères ont simplement fait le lit de Faure Gnassingbé ! L’autocrate Eyadema fut le seul gagnant dans cette affaire, comme d’ailleurs de toutes les négociations que les leaders de l’opposition dite démocratique, ‘’radicale’’ ou non, ont entreprises avec lui. C’est ce que nous voyons depuis l’accord FAR-Pouvoir en mars 1991 en passant par la CNS, Colmar, Ouaga, Bruxelles, etc. Il n’y a aucune raison que les choses changent avec son fils, lui qui, en quelques jours, a montré qu’il n’a rien à envier à son père en matière de barbarie, de terreur, de mensonge et d’hypocrisie.
Quand Apollinaire Agboyibo réclame la paix des cimetières pour perdurer la dictature
On nous a toujours expliqué que ces négociations et ce consensus doivent conduire à la paix, mettre fin aux violences et permettre le retour des exilés. Mais avec un régime qui, par sa nature, ne peut supporter ou tolérer aucune opposition ni contestation, comme il vient encore d’en faire la preuve à coups de tueries, de bastonnades ; le consensus dont Madjé Agboyibo est le chantre ce n’est ni la fin de la violence, ni la paix, mais rien d’autre que la soumission et le silence du peuple, la paix des cimetières en échange de quelques strapontins (ministres, premier ministres, députés, maires etc.) pour les leaders de l’opposition.
C’est seulement le répit laissé à la dictature pour préparer de nouveaux coups et abattre de nouveau la répression et la terreur sur le peuple. Il en a été ainsi depuis que cette opposition existe : à chaque fois qu’une menace plane sur l’autocratie, elle se précipite pour proposer « sa solution », celle des tractations au sommet, celle du sabotage du mouvement populaire. Les pléthores d’accords qu’elle a signé, ont ainsi, seulement permis à la dictature de gagner vingt-huit années. Le véritable rôle qui lui est assigné, c’est de se constituer en une digue contre le torrent populaire.
Le servilisme d'Agboyibo à l'égard de l'impérialisme français.
Il est clair que Agboyibo et ses affidés qui ont osé déclarer publiquement que le départ d’Eyadema serait pour eux synonyme de vide politique, ou bien qu’ils soient tous aussi disposés à servir les intérêts de l’impérialisme français, ne peuvent pas être considérés comme des ennemis irréductibles de ce régime vomi par le peuple. Ces leaders (Gnininvi, Agboyibo, Antoine Folly et Cie) ne sont que des adversaires, de simples rivaux du clan Gnassingbé, qui veulent accéder eux aussi au pouvoir néocolonial pour prendre leur part du gâteau. Ils partagent les
mêmes valeurs que ce dernier : Ils ont le même mépris pour le peuple ; ils sont tout autant corrompus et corruptibles, assoiffés de gains faciles ; tout autant serviles à l’égard de l’impérialisme; ils fréquentent assidûment les chancelleries étrangères et il faut les voir ramper devant les envoyés de l'impérialisme français au Togo. Agboyibo et ses affidés poussent leur servilisme jusqu’à remettre en cause l’historique victoire du 27 avril 1958 sur le colonialisme français en réclamant sans aucune honte « un administrateur désigné par l’ONU pour gérer le Togo », et «une force de police et militaire internationale pour les protéger», en somme, la recolonisation pure et simple de notre pays.
Sans nul doute la mort de Apollinaire Agboyibo ne mettra pas fin à ses nocives idées politiques sur le processus démocratique chez-nous; les démocrates et patriotes doivent continuer à traquer et à combattre ses émules et ses héritiers politiques qui continuent, aujourd'hui, de véhiculer cette perfide ligne politique de la démocratie par le dialogue et les urnes.
*Le texte que nous publions ci-dessus est le résumé d'une série articles que nous avions déjà publié entre janvier 1999 et décembre 2005
A suivre...
Bruxelles, le 30 mai 2020
Le Front des Organisations Démocratiques Togolaises en Exil
Le Togo En Lutte
Site internet: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Contact: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.