LA CNS : UN PIEGE CONTRE LA LUTTE DU PEUPLE !

degli-kokouviIntroduction. Le 5 octobre 1990 marque une étape importante dans la lutte du peuple togolais. Pour la première fois depuis des années les masses populaires et notamment la jeunesse ont osé descendre dans la rue pour défier ouvertement et affronter le pouvoir autocratique du despote et sa machine de répression. En novembre de cette même année 1990, pendant que les paysans et la jeunesse se soulevaient à Kpalimé, Sokodé et Mango;ce sont les chauffeurs et les transporteurs qui se mettaient en grève, les dockers et les ouvriers paralysaient le Port Autonome de Lomé. Voilà autant de faits qui, aujourd'hui, attestent de l'ampleur et de la profondeur du mouvement populaire dont le 5 octobre a donné le signal. Vingt-cinq ans après ce glorieux mouvement, le constat est amer; la dictature est toujours en place; le peuple togolais et sa vaillante jeunesse continuent de vivre une grande désillusion; après avoir subi la dictature sanglante du père Eyadema, ils sont en train de subir celle du fils où une oligarchie s’est installée au cœur de ce pouvoir pour continuer d’une manière plus crapuleuse le pillage de nos richesses. Comment en est-on arrivé à cette situation catastrophique ? Pour répondre à une question aussi importante, les leaders de cette opposition dite démocratique ont choisi d'occuper, une fois de plus, la scène politique pour soi-disant dresser le bilan de ce qu'ils avaient appelé à l'époque la conférence nationale «souveraine» où ils votaient toutes sortes de décisions et attribuaient sur papier, et entre quatre murs, toutes sortes de pouvoir au Premier ministre et au parlement de transition.  Pendant que nos «conférenciers» organisaient cette messe, l'autocrate Eyadema a pu tranquillement réorganiser son camp et ses forces, momentanément affaiblies, en déclenchant une offensive générale contre les libertés démocratiques conquises de haute lutte. Tout cela a abouti au putsch sanglant de décembre 1991 à diverses arrestations, à l’exil forcé de nos concitoyens et aux assassinats politiques au sein du peuple.

Aujourd’hui, vingt-cinq ans après et, en dépit de l'échec de ce mouvement, il est déplorable que nos «conférenciers» d’hier; en clair les partisans de la démocratie par le dialogue, la conciliation et les urnes se tressent encore des lauriers; c'est pourquoi nous estimons nécessaire de répondre, sans détour, à ces faux démocrates (Agboyibo, Koffigoh, Gnininvi, Degli et cie); en apportant une clarification définitive sur cette période cruciale de notre lutte. C’est, sans nul doute, l’objectif principal de ce document que nous reproduisons ci-dessous. Le document émane du CTCL (Comité Togolais pour la Culture et la Liberté) -une des composantes de -Togo En Lutte-. Ce document inedit a été publié en novembre 1991 au plus fort de l’euphorie et l’enthousiasme qui entouraient cette conférence nationale «souveraine». Vingt-cinq ans après ces événements politiques, ce document garde toute sa fraîcheur et passe au crible, non seulement, les arguments bidons, illusoires développés par les partisans de cette assise, mais aussi et surtout, fustige le rôle de la France impérialiste qui n’avait nullement ménagé ses efforts en conseils et en aides matériels aux faux démocrates -pour imposer aux masses populaires l’organisation de cette conférence qui en réalité n’était qu’un complot, un simple replâtrage du système néocolonial.

 

Sur les conseils et avec la France, ils tendent un traquenard à la lutte émancipatrice du Peuple: la Conférence dite «Nationale», dite «Souveraine».

 

Ouverte finalement le 8 juillet 1991, après bien des tractations, la «Conférence Nationale Souveraine» (CNS) s’est achevée le 28 août 1991, après l’adoption d’une loi constitutionnelle, l’élection d’un Premier ministre, et la mise en place d’un Haut Conseil de la République (HCR). Nos conférenciers sont enthousiastes, euphoriques, et pas seulement les partisans de Me Koffigoh, le Premier ministre élu. Même ceux qui avaient misé sur Gnininvi ravalent leur déception et participent à cette ambiance euphorique. Et ils se félicitent d’avoir «réussi» leur conférence malgré le boycott des militaires, d’avoir pu mettre sur pied «les institutions de la transition». Ils sont surtout soulagés, car cette conférence «souveraine» a failli ne pas aller jusqu’à son terme, quand le 26 août 1991, Eyadema fait couper la retransmission et cerner par ses militaires la salle de Conférence: une fois encore, ce sont les fameux Ekpemog qui, par leur mobilisation, ont sauvé la situation.

Mais au CTCL -Comité Togolais pour la Culture et la Liberté-, nous sommes loin de partager ces sentiments euphoriques. Nous demeurons convaincus que cette conférence n’est qu’un traquenard, un piège criminel dressé contre le Peuple en marche vers son émancipation, et chaque jour nous confirme dans nos appréhensions. C’est pourquoi nous jugeons de notre devoir de multiplier nos avertissements, nos appels à la vigilance, nos mises en garde, à travers nos écrits et nos interventions publiques. Et la situation n’a pas de quoi nous réjouir en effet. Il y a d’abord le fait que l’autocrate demeure en place avec tout son système. Et ceci constitue déjà une trahison de la volonté populaire, dont la revendication première, telle qu’elle s’est exprimée de diverses manières et sous diverses formes tout au long de cette période, est et demeure la démission d’Eyadema et de sa bande de criminels.

Abreuvé par une propagande intense, tant nationale qu’internationale, et visant à faire passer la conférence comme la voie obligée vers la démocratie, beaucoup au sein du Peuple, ne voulant pas croire que les choses étaient ficelées à l’avance, ont fini pas s’imaginer que celle-ci pouvait aboutir à la démission d’Eyadema. Opinion largement partagée même par la base de nombreux partis et organisations participant au FOD -Front de l'opposition Démocratique- et au COD -Coordination de l'opposition Démocratique-, aux dires même de certains de leurs dirigeants. Et en tout cas, c’est encore le vœu exprimé par les chefs traditionnels de Klouto, dans une déclaration adressée à la Conférence en date du 28 juillet (Cf. Forum Hebdo du 2 août 1991). «Il (Eyadema) doit donc quitter le pouvoir avant la fin de la Conférence Nationale Souveraine». De ce point de vue, cette conférence, non seulement est une déception pour ceux qui y croyaient de bonne foi, mais constitue en soi une véritable escroquerie politique, une duperie crapuleuse de la part de la France et du FOD/COD.

Mais surtout, nous ne pouvons-nous empêcher de constater que, pendant que nos conférenciers continuent de se tresser des couronnes de victoire, de sa faire des congratulations, des signes inquiétants continuent de se multiplier, confirmant nos analyses, renforçant nos appréhensions sur les menaces de plus en plus précises de l’autocrate sur les conquêtes démocratiques encore fragiles. Conquêtes toutes antérieures à la CNS.

Le Boycott de la Conférence par les Forces Armées Togolaise -FAT- est déjà un signe inquiétant. On se souvient, en effet, que les représentants de l’armée s’étaient retirés en même temps que ceux du gouvernement, le 16 juillet 1991, après le vote de l’Acte n°1 proclamant la «souveraineté» de la Conférence, et que par la suite, contrairement à ces derniers, ils ont refusé de revenir sur leur décision, sous prétexte qu’ils sont sous-représentés. L’attitude de l’armée n’est pas un fait de hasard, et pour nous, elle revêt une signification politique bien précise: à savoir que l’armée (et par conséquent Eyadéma) ne se sent nullement concernée, encore moins liée par les décisions de la Conférence. C’est déjà, non seulement une brèche ouverte dans cette «souveraineté» proclamée, mais aussi un clair avertissement dont nos «conférenciers» devraient tenir compte. Mais ils continuent de fermer les yeux. Il est vrai qu’Eyadema a «promis de respecter les décisions de la conférence», mais nous continuons d’affirmer qu’entretenir des illusions sur les «promesses» d’Eyadema et sur sa bonne foi, relève soit de la naïveté infantile, soit d’une attitude criminelle, surtout avec l’expérience que vit notre Peuple depuis un an, depuis le 5 octobre notamment. Puis, est survenu le «coup» du 26 août 1991, où c’est toute la Conférence qui est pratiquement prise en otage par Eyadema et par ses militaires, et où nos conférenciers ont été mis devant la réalité brutale des rapports de force. Une occasion où la démonstration a été faite une fois de plus que seule la «rue», c’est-à-dire le Peuple mobilisé, est à même de faire face avec succès à l’autocrate et à sa machine de répression anti-peuple.

Pendant ce mois d’octobre 1991, nous venons d’assister, à 8 jours d’intervalle, le 1er et le 8, à deux nouveaux coups des militaires. Le deuxième a même failli être fatal au Premier ministre Koffigoh, qu’un commando a failli capturer. Provocation ? Manœuvre d’intimidation ou prélude à d’autres coups ? Prétexte pour justifier une intervention militaire de la France ? Seul l’avenir nous apportera la réponse. Mais l’on peut seulement constater que, dans une telle situation, ce n’est pas vers le Peuple que se tourne le Premier ministre pour appeler celui-ci à se mobiliser pour défendre et préserver ses droits démocratiques nouvellement conquis (pas plus que les autres conférenciers d’ailleurs), mais plutôt vers l’autocrate, leur protagoniste (qui, comme toujours dans de pareilles circonstances, fait l’ignorant), pour des discussions, des tractations au sommet assorties de concessions, qui ne peuvent que conforter ce dernier et le renforcer dans sa volonté de recommencer à la prochaine occasion. Et dans leur logique apatride, c’est sur une intervention militaire de la France impérialiste, ou de pays africains amis qu’ils comptent pour sauver la situation. Bref, autant de signes qui montrent qu’Eyadema, tant qu’il reste en place, constitue, avec son armée, véritable garde prétorienne, une menace permanente, une épée de Damoclès suspendue au-dessus du Peuple et de ses conquêtes démocrates.

Nos conférenciers ne voient-ils pas tous les nuages noirs qui s’accumulent à l’horizon ? Ils préfèrent s’adonner à la politique de l’autruche, se cacher la tête dans le sable, plutôt que de voir ce qui se passe. Certains croient dégager leur propre responsabilité dans la situation inquiétante actuelle, en imputant déjà cette situation au Premier ministre et au gouvernement de la transition, à la lenteur du chef du gouvernement dans l’exécution des tâches définies par la CNS, «au manque de fermeté vis-à-vis de l’ancien régime et particulièrement du chef de l’ancien régime dont la population continue de se méfier, à juste titre d’ailleurs…» (WETRI, n°6 du 19 au 26 octobre 1991). Et ils évoquent pêle-mêle: le boulevard des Armées toujours fermé, les directeurs des sociétés d’État nommés par Eyadema toujours en place, la non-formation des diverses commissions prévues par la CNS, l’absence de mesures de sanction fermes contre les auteurs des coups de force des 1er et 8 octobre 1991.

Ces critiques émanent généralement des partisans du candidat Gnininvi qui ne parviennent plus à dissimuler leur dépit, et qui, de meetings en réunions et conférences, s’efforcent de démontrer qu’avec leur candidat élu, les choses se seraient passées autrement. Critiques qui puent l’opportunisme à vue de nez et qui permettent d’éviter certaines questions de fond à savoir notamment: pourquoi la Conférence n’a-t-elle pas, en toute «souveraineté», rendu immédiatement exécutoires, et fait effectivement exécuter les décisions telles que l’ouverture du boulevard des Armées, ou même la mise à la retraite d’Eyadema ?

De quels moyens, de quelles forces dispose un Premier ministre de la transition, dans les circonstances actuelles, pour imposer ses décisions aux FAT, et concrètement pour faire réellement appliquer la décision de sanction contre les auteurs des coups de force militaire dès le 1er et 8 octobre 1991 et contre leur commanditaire ? La seule fermeté est-elle suffisante face à cette situation ? Et pourquoi faudrait-il «montrer de l’énergie», faire preuve de fermeté seulement maintenant, alors que depuis au moins la rencontre Eyadema-FAR, l’attitude la plus généralement observée a été celle de la «courtoisie», pour citer Gnininvi, du compromis, attitude symbolisée notamment par cette rencontre du 12 juin 1991 autour de bouteilles de champagne ? Et pourquoi ces «conférenciers» qui exigent maintenant de la fermeté, ont-ils précisément élu comme Premier ministre un Koffigoh qui n’a jamais caché ses penchants pour le compromis, la conciliation, «le respect de toutes les sensibilités» ? Poser ces questions, c’est s’interroger sur ce qu’a été réellement cette conférence. Mieux, c’est déjà commencer à ouvrir les yeux sur cette supercherie, ce traquenard dressé par les ennemis de notre Peuple avec la complicité de faux amis et opportunistes.

 

La CNS, une manœuvre tactique de la France impérialiste

 

Il est indéniable que la CNS n’est pas une revendication des masses populaires. Les revendications, les exigences du Peuple étaient et demeurent on ne peut plus claires : c’est en premier lieu la démission du despote Eyadema et de sa clique. Exigence, revendication de plus en plus précises, à mesure que la lutte s’intensifiait. En tout cas, cela n’a rien à voir avec une quelconque «Conférence Nationale» glissée subrepticement en fraude. L’idée de «conférence nationale souveraine» vient en effet de l’extérieur et n’a rien de national, que ce soit sa conception ou sa réalisation. C’est une procédure qui n’a servi que dans les pays africains dits francophones, c’est-à-dire les néo-colonies françaises d’Afrique: Gabon, Bénin, Congo, Mali, Niger, Togo; et partout dans ces pays, elle a revêtu les mêmes formes, utilisé les mêmes termes, abouti aux mêmes résultats, à quelques variantes près.

En effet:

La direction de ces «augustes assemblées»: un présidium, avec à sa tête un évêque; le contenu des débats est généralement le même: une critique «sévère» du régime en place, suivie de la mise sur pied d’instruments de la transition: un «Haut Conseil de la République».

Un Premier ministre généralement agent ou lié aux prédateurs internationaux, aux grandes institutions financières internationales impérialistes: au FMI et à la Banque Mondiale surtout. Tout ceci dénote, à n’en pas douter, une source d’inspiration unique: c’est l’Elysée, c’est-à-dire la France impérialiste. Avec l’accord des autres puissances impérialistes de l’Occident, États-Unis, Allemagne surtout pour ce qui concerne notre pays.

 

Les objectifs de la France

 

Il serait naïf, inconscient voire dangereux de penser que la France impérialiste, qui a installé et soutenu pendant près d’un quart de siècle et en toute connaissance de cause (aussi bien la droite que la social-démocratie, «la main gauche de l’impérialisme français», selon l’heureuse expression du (Parti Communiste du Togo) l’abominable régime autocratique du despote Eyadema, au point d’intervenir militairement dans notre pays en septembre 1986, soit saisie tout d’un coup de préoccupations démocratiques, et veuille tout à coup nous «aider» à instaurer la démocratie chez-nous. L’objectif fondamental qui commande l’attitude de la France impérialiste (et des autres puissances occidentales) n’a rien à voir avec la démocratie, ni avec les droits de l’homme. C’est d’abord et avant tout la préservation de ses intérêts économiques, politiques, militaires, culturels, etc… Et la condition première pour assurer la pérennité de ses intérêts et de sa domination, c’est la stabilité politique.

C’est le souci de préserver cette stabilité qui est à la base de son intervention militaire de septembre 1986. C’est le même objectif que vise cette tactique. Le vent de la démocratie qui souffle sur notre continent n’a pas fondamentalement changé cet objectif de l’impérialisme français. S’il a commencé à parler maintenant de démocratie, c’est qu’ayant constaté son impuissance à empêcher le développement du mouvement démocratique et populaire, conséquence de l’exaspération des masses populaires devant leurs conditions de vie de plus en plus insupportables, et devant l’aggravation de leur oppression, il s’efforce de l’accompagner pour pouvoir le contrôler, lui imposer une orientation conforme à ses intérêts; c’est-à-dire empêcher tout «débordement», tout «dérapage»: enlever tout contenu révolutionnaire au mouvement populaire, en l’empêchant de devenir une force autonome, de se doter d’une direction conséquente afin que le peuple puisse réellement se prendre en main, s’émanciper.

Il est indéniable, par exemple, que la France n’est pas favorable au renversement de l’autocrate Eyadema par un soulèvement populaire, et par conséquent, ne voit pas d’un bon œil le succès d’une grève générale illimitée, et ceci s’explique par sa crainte de voir notre Peuple prendre conscience de sa force, devenir «incontrôlable» pour lui, et refuser de se soumettre désormais à un quelconque diktat, par exemple aux Plans d'Ajustement Structurel (PAS), ces plans criminels que le FMI et la Banque Mondiale nous imposent depuis des années. La France impérialiste intervient donc pour freiner les luttes, pour arrêter l’élan populaire, et présenter des solutions illusoires, des changements qui ne changent rien. Et ce changement illusoire, de façade, se traduit essentiellement par le renouvellement plus ou moins partiel de l’équipe dirigeante au sommet de l’Etat, avec l’éviction si possible de quelques éléments parmi les plus décriés, la promotion d’éléments «nouveaux» par la mise en place d’institutions nouvelles (Premier ministre, HCR, assemblées, Cour Suprême de l’Etat…).

Cet objectif de l’impérialisme français répond aux ambitions et aux intérêts de la bourgeoisie libérale et de la couche supérieure de la petite-bourgeoisie intellectuelle: avocats, professeurs, fonctionnaires, hommes d’affaires…: dinosaures politiques, vieux chevaux désireux de se refaire une nouvelle jeunesse, troglodytes qui se sont terrés en attendant que ça se passe, opportunistes enrichis à l’ombre de l’autocratie, et qui voient le vent tourner, tous ces gens qui piaffent d’impatience, et dont la profession de foi dissimule mal le désir ardent d’accéder enfin (ou de revenir) au pouvoir.  Même s’il faut le partager avec l’autocrate, et ceci n’a rien à voir avec les intérêts, ni avec les aspirations de notre Peuple. A ceux-là, il faudrait ajouter quelques inconscients, inévitables dans ces circonstances. Tout comme l’impérialisme français, ces bourgeois non-au pouvoir ne sont pas favorables à l’amplification des luttes populaires. Ils ne voient dans le mouvement populaire qu’un moyen de pression pour obtenir des concessions d’Eyadema, leur protagoniste. L’impérialisme français leur a assuré une grande couverture médiatique en tant que «dirigeants de l’opposition démocratique», afin de pouvoir réaliser à travers eux son objectif tactique: la conférence nationale.

 

L’ambassadeur de France, véritable gouverneur

 

bruno-delayeDans cette affaire, c’est lui qui, en effet, comme il se doit et à l’instar de ses collègues des autres néo-colonies d’Afrique dites francophones, est le chef d’orchestre, chargé de faire jouer une musique dont la partition a été écrite ailleurs, à l’Elysée. Depuis les événements mémorables du 5 octobre 1990, M. Delaye, l’ambassadeur, confirme chaque jour le rôle de gouverneur qu’il joue actuellement. Il ne chôme pas; il est sur la brèche, occupé à négocier et à faire appliquer les consignes dont les objectifs ont été brièvement exposés ci-dessus. C’est-à-dire à freiner des quatre fers le mouvement insurrectionnel populaire, à dévoyer le mouvement démocratique, à éviter tout «débordement» de la lutte populaire. On se rappelle ainsi, qu’après être intervenu de tout son poids pour faire rapporter les mots d’ordre de grève générale illimitée de mars, avril et juin, c’est lui qui a rédigé de sa main l’accord COD-gouvernement du 12 juin 1991.

Ce qui donne la mesure du rôle qu’il joue actuellement dans notre pays, et de la soumission de nos «dirigeants de l’opposition». A l’ouverture de la Conférence Nationale Souveraine, M. l’ambassadeur est à son affaire. Il se démène comme un beau diable pour «réussir» «sa» Conférence. Ce qui signifie pour lui, avant tout, «verrouiller» celle-ci, éviter des «dérapages» dangereux. Il est resté en contact étroit, fréquent, quasi quotidien avec le présidium de la Conférence, notamment avec le magouilleur Mgr Kpodzro, avec Koffigoh, avec Eyadema ainsi qu’avec diverses délégations, en particulier avec les dirigeants de l’ «opposition». Il avait, nous a-t-on rapporté, loué une suite à l’Hôtel du 2 février où se précipitaient sans vergogne nos «conférenciers» dépourvus de tout sentiment de dignité nationale, pour faire le point avec lui, pour recevoir des critiques et des instructions, à commencer par celle-ci: faire tout pour éviter la destitution de l’autocrate et despote Eyadema. Et pour ce faire, il n’hésitait pas à brandir «la menace de guerre civile», en guise d’argument.

Bref, une conférence initiée par l’étranger, de surcroît ennemi de notre Peuple, aussi «cadrée» par lui, et qui, même pour pouvoir se tenir, a besoin de financement étranger, qu’elle n’hésite d’ailleurs pas à quémander, peut-elle être qualifier de nationale? Nullement. Ou alors pour autant qu’on peut qualifier notre pas d‘indépendant. C’est-à-dire une pure fiction, tout comme nous parlons d’indépendance nominale des néo-colonies. Ce fut en réalité une conférence apatride, avec des animateurs plus ou moins serviles.

 

Une représentation nationale ?

 

On peut légitimement se poser la question de savoir si cette conférence représentait effectivement «la nation». Sans doute toutes les régions, du Sud au Nord, de l’Est à l’Ouest, selon l’expression consacrée, y étaient présentes, comme les diverses catégories socio-professionnelles. Mais examinons un peu la répartition des délégations telles qu’elle fut établie par la commission mixte COD-gouvernement en date du 20 juin 1991. Sur un total de quelques 600 délégués prévus, la commission réservait 60 au «monde rural». Au regard de l’importance de la paysannerie (plus de 85% de la population) dans notre pays, la sous-représentation de la paysannerie apparaît ici à l’évidence (encore que les 60 délégués ne sont pas nécessairement tous des paysans). Alors que dans une large mesure, la «question nationale c’est la question paysanne».

Pour la représentation des confessions religieuses, la commission a prévu 6 délégués pour les églises catholique, protestante et pour les musulmans, et 4 pour les «autres confessions», c’est-à-dire en fait des sectes chrétiennes non reconnues par les églises officielles. Autant dire que dans un pays où les 2/3 au moins de la population pratiquent des religions traditionnelles, celles-ci ne sont nullement représentées. Sans doute parce que nos «conférenciers», comme le colon d’hier, considèrent-ils celles-ci comme «sauvages», et peu dignes d’intérêt.

La langue adoptée par cette conférence est le français, compris et parlé seulement par le quart de la population. Mépris pour ces masses populaires à qui ces «opposants démocrates» conférenciers n’ont pas daigné traduire dans leurs langues les divers interventions et débats.

Bref, ce qui a été représenté à cette conférence «nationale», ce fut surtout la grande bourgeoisie et la petite-bourgeoisie intellectuelle (sa couche supérieure surtout), à travers les divers partis politiques et associations, les représentants des administrations, des ministères, des confessions religieuses, des sociétés d’Etat, ainsi que ceux des syndicats réformistes, des enseignants. Même lorsque le nombre réel des délégués fut porté à près de 1.000, cela n’a pas changé pour autant le profil de cette conférence. Et l’importance du «per-diem» (indemnité journalière) que ces délégués se sont fixé est déjà fort significative: 5.000 à 9.000 FCFA (25 à 45 FF), soit plus de dix fois l’équivalent du SMIG, qui est d’environ 500 FCFA par jour (1FF). Ce que certains touchent en plus de leur salaire régulier. Nous admettons volontiers que l’origine sociale ou régionale des délégués ne suffit pas à elle seule à empêcher ces derniers de représenter valablement «la nation». Tout dépend des positions politiques qu’ils défendent, de la vision politique, économique et sociale qui sous-tendent ces positions, c’est-à-dire en dernière analyse si celles-ci vont dans le sens des intérêts de notre Peuple et de notre pays.

 

Examinons donc un peu cette CNS du point de vue de la représentation politique.

 

Il n’est pas nécessaire de s’attarder outre mesure sur la forte représentation du parti réactionnaire RPT, et de ses avatars (par exemple le RAID), ainsi que du pouvoir autocratique en général (ministères, administrations). Ceci a été dénoncé par certains «conférenciers» eux-mêmes. Qu’on puisse même envisager de se réunir avec les représentants du pouvoir autocratique pour mener «un débat général sur la vie politique, économique, sociale et culturelle de notre pays», nous paraît déjà extrêmement grave, en tout cas significatif des affinités qui existent entre les différents protagonistes de la conférence, entre le pouvoir autocratique et l’ «opposition».

 

Qu’en est-il donc de ces partis d’opposition ?

 

Ils appartiennent pour la plupart au COD avec les associations qui leur sont proches. Il faut dire que ces partis politiques qui sont allés « débattre de la vie politique, économique, sociale et culturelle de notre pays », n’avaient pas jusque-là dans leur quasi-totalité, élaboré de programme politique (et n’en ont toujours pas élaboré). Tous se réclament de l’État de droit, de la démocratie, du multipartisme, ce qui est bien court pour un programme politique (d’ailleurs même le RPT s’en réclame) et est en deçà des aspirations et des revendications du Peuple. C’est la dégradation vertigineuse des conditions de vie des masses populaires, soumises aux effets dévastateurs des PAS imposés par le FMI-Banque Mondiale, qui a rendu l’oppression d’autant plus insupportable et a provoqué leur révolte, et non la simple revendication d’un «Etat de droit». Il est vrai que certains de ces partis se réclament en plus de la social-démocratie; mais cela ne va pas plus loin.

On prétend avoir retiré à l’autocrate la plupart de ses pouvoirs et prérogatives. Mais que valent ces décisions toutes théoriques face à la réalité brutale des rapports de forces ? Rien, tant que les FAT demeurent une armée mercenaire à son service. Pire, il peut même en plus se targuer de la légitimité que lui ont conféré les institutions de la transition.

Bref, c’est Eyadema qui est sorti le grand vainqueur de la CNS, et non l’État de droit démocratique. N’est-ce d’ailleurs pas le vœu, le souhait des milieux impérialistes, français en particulier, qui n’ont jamais cessé de protéger, de manœuvrer d’intelligence avec ce tyran sanguinaire auprès duquel la France a dépêché comme conseiller notamment un de ses conseillers les plus retors, Jean Collin ? Pourquoi ont-ils expressément et fermement œuvré, manœuvré, imposé l’orientation de cette CNS, orientation qui, au-delà des déballages, ne devait point conduire à la démission d’Eyadema ? L’ambassadeur de France, le maître d’œuvre de cette CNS, n’a cessé de répéter cette exigence, reprise en chœur par ses agents: «En cas de démission d’Eyadema, il y aurait un vide politique. Alors pas de débordement !». D’où le haro sur les soi-disant «extrémistes», «irresponsables» qui ne sont en fait que des amuseurs de la place publique. Bref, c’est une lourde hypothèque sur l’avenir, et qui fait ressortir d’autant plus la responsabilité criminelle des conférenciers dans ce traquenard contre le peuple.Edem-Kodjo

Ces partis politiques ne sont pas formés autour d’un programme politique, mais plutôt autour de responsabilités de la grande bourgeoisie réactionnaire non au pouvoir, ou de la couche supérieure de la petite-bourgeoisie intellectuelle, de la bourgeoisie libérale. Et c’est ce qui explique la multiplicité de ces partis interchangeables, qui se réclament des mêmes objectifs: chacune de ces personnalités veut en effet disposer de «son» parti pour pouvoir exister et négocier sa place sur la scène politique, comme c’est le propre des bourgeois: c’est d’abord chacun pour soi. Il s’en suit donc que le racolage, les questions de personne, les affinités régionalistes, ethnocentristes, les magouilles continuent de l’emporter sur le débat politique dans le sens noble du mot. Même si chacun et tous ne perdent pas leur instinct de classe.

Inutile de s’attendre de leur part à des projets de sociétés, à des projets politiques originaux, en dehors de la critique habituelle des pratiques les plus outrancières du pouvoir autocratique. Ils n’ont rien d’autre à nous proposer que la reconduction pure et simple du régime actuel mieux présenté, mieux enveloppé. Et ce n’est pas un hasard si dès novembre 1990, un Edouard Kodjo, l’un des ténors de cette «opposition», jugeait «sommaire de condamner à cent pour cent le régime qui préside aux destinées de notre pays». (Forum Hebdo du 13 novembre 1990). Déclaration qui suscita à l’époque une réplique cinglante du Parti Communiste du Togo (PCT), qui traita son auteur de «politicard», d’«homme sans principe». C’est ainsi que sur le plan économique et financier, la politique anti-nationale, anti-populaire et pro-impérialiste du régime autocratique Eyadéma, avec les désastreux Plan d'Ajustement Structurel (PAS), la braderie de notre patrimoine économique, la Zone franche industrielle (ZFI)… a été confirmée par la Conférence.  Non, une telle conférence n’a rien de nationale.

 

Une souveraineté de pacotille

 

L’un des attributs que la Conférence s’est attribué, et dont nos «conférenciers» ne sont pas peu fiers, c’est celui de la souveraineté, votée le 16 juillet 1991. Voyons ce qu’il en est dans la réalité. C’est Monsieur KOSSI APALOO, Procureur Général près de la Cour Suprême, qui, dans une intervention très applaudie la veille, avait fourni la base théorique à cette décision de l’«Auguste Assemblée». Il n’est donc pas sans intérêt de nous attarder quelque peu sur le point de vue développé par notre orateur.

Monsieur APALOO commence par définir cette notion de souveraineté: «c’est, dit-il, la puissance politique suprême; elle est suprême dans la mesure où elle n’en reconnaît aucune autre au-dessus d’elle.»... «Cette puissance est-elle que sa jouissance place l’entité qui en est investie, au degré suprême de la domination, car c’est lui le titulaire de la souveraineté qui détient le pouvoir constituant par lequel il contrôle aussi bien le choix des gouvernants que l’exercice du pouvoir étatique.»

Contre les protestations des représentants du gouvernement, qui criaient à la trahison de l’accord du 12 juin 1991, APALOO avait une réponse toute prête: «la souveraineté ne peut découler d’un accord, parce qu’elle appartient au peuple». Il s’appuie, pour développer son argumentation, sur des précédents puisés dans l’histoire de France:

  •   Déclaration de 1789;
  •   Constitutions de 1791 et de 1793;
  • Constitution de 1848.

Sans oublier les trois constitutions de notre propre pays.

Comme on peut le constater, la notion de souveraineté en tant que formulation est d’importation étrangère. Ce principe a été formulé dans des pays comme la France, les Etats-Unis. Et se référer à des exemples étrangers n’est pas une mauvaise chose en soi; à condition, bien entendu, d’en saisir l’esprit et de ne pas en rester à la lettre. En particulier, à condition de ne pas isoler ces exemples, de ne pas séparer ces principes du contexte, politique, historique, social… dans lequel ils ont été élaborés. Sans cet effort, en effet, on réduit ces exemples au rôle de précédents et d’arguments juridiques, et on sombre dans un juridisme semeur de confusion et de dangereuses illusions. C’est dans ce travers que sombre pourtant la démonstration de notre Procureur Général.

         En effet, la souveraineté n’est pas un principe éternel. Il est né et s’est développé dans des contextes particuliers. Il s’est d’abord incarné dans le pouvoir royal, le pouvoir qui ne tient que de Dieu.

Le principe de la souveraineté populaire est apparu ensuite comme la contestation, la négation de la souveraineté royale. Entre les deux, la lutte était fatale, et ce sont ces luttes que reflètent les principes de 1789, les constitutions de 1791, 1793.

La Déclaration de 1789, n’est pas demeurée une simple proclamation sur le principe de la souveraineté de la nation. Le peuple français s’est concrètement donné les moyens d’exercer sa souveraineté: en s’armant pour faire face à l’armée royale et à la répression; en développant des luttes qui affaiblirent le pouvoir royal. Ainsi pour cette année 1789 on peut citer les exemples suivants:

  • 14 juillet, le Peuple s’empare de la Bastille, symbole de l’arbitraire royal;

 

  • 5 octobre, le peuple se porte en masse à Versailles ‘alors résidence royale), pour ramener le roi et sa famille à Paris, afin d’avoir l’œil sur eux: une manière concrète d’exercer la souveraineté populaire;

 

  • automne 1789: c’est la «révolution municipale»: dans de nombreuses villes, les anciennes municipalités sont destituées, remplacées par des municipalités nouvelles, «patriotiques», élues. Ajoutons les soulèvements dans les campagnes contre les seigneurs féodaux…

Lorsqu’il apparut que le pouvoir royal constituait un obstacle irréductible pour la souveraineté populaire, le peuple français s’est soulevé pour renverser la monarchie: une insurrection populaire s’est emparée de la personne du roi, l’a retenu prisonnier jusqu’à son jugement et sa condamnation à mort. C’est cette situation qui se reflétait dans la constitution de 1793.

La constitution française de 1848 qui proclame également le principe de la souveraineté populaire, est un exemple fort instructif, dans la mesure où elle est intervenue après le renversement par la force populaire du roi Louis-Philippe, au cours de la Révolution de Février 1848.

Comme on le voit, la question de la souveraineté est une question de lutte, et de lutte populaire. C’est ce que ne veut pas voir M. Apaloo. Son intervention laissait ainsi croire qu’il suffit que l’on se réunisse et se prononce entre quatre murs pour la souveraineté, pour qu’il en soit ainsi réellement. Il fait de la souveraineté une simple question de débat juridique, sans rapport avec la lutte concrète sur le terrain. Il n’a pas voulu voir que sans moyen de l’exercer effectivement, la souveraineté est un leurre.

En ce sens, il a agi en marchand d’illusions, à l’instar de tous les conférenciers, en éteignoir des luttes populaires. Et son approche purement juridiste et formaliste du problème de la souveraineté, propre à son milieu social (avocats, magistrats, professeurs, hommes d’affaires…), à la mentalité de celui-ci, à ses intérêts, à son refus de s’opposer de manière frontale à l’autocratie, l’empêche même de tirer leçon de notre propre histoire.

Ainsi, il cite comme précédents juridiques chez nous, mais seulement comme précédents juridiques, les diverses constitutions (celles du 14 avril 1961, celle du 5 mai 1963, celle du 9 janvier 1980), qui toutes proclamaient en effet le principe de la souveraineté du Peuple. Mais il se refuse obstinément à voir cette réalité pourtant aveugle, à savoir que le Peuple n’a jamais joui de cette souveraineté pourtant proclamée par ces constitutions; que cette souveraineté est demeurée une simple proclamation, c’est-à-dire une pure fiction. S’il s’était penché sur cette réalité, s’il avait pris la peine de situer ces constitutions dans leur contexte historique, il en aurait trouvé la raison: à savoir le fait que le Peuple était privé des moyens d’exercer effectivement cette souveraineté. Du moins, il aurait vu d’un autre œil cette fameuse CNS, et posé le problème de sa souveraineté d’une autre manière.

Ces observations remettent donc à leur vraie place la «brillante» et «savante» intervention de notre Procureur général: celle d’une coquille vide, ou pire, une incitation à une dangereuse euphorie.

La souveraineté émane du Peuple, affirme M. Apaloo pour justifier le vote de l’acte de souveraineté du 16 juillet 1991. Cela n’est pas faux en soi, mais il aurait dû ajouter (mais il se garde de le faire): à condition que le Peuple soit lui-même souverain, c’est-à-dire qu’il brise par la lutte concrète les obstacles qui s’opposent à l’expression de cette souveraineté. Car, et c’est ce que montre par exemple l’expérience du Peuple français de 1789, ce que M. Apaloo aborde seulement de manière très superficielle, juridiste, lorsqu’il s’agit de souveraineté populaire, l’élément primordial, déterminant, c’est le peuple lui-même et lui seul. C’est lui qui est la source et la garantie de sa propre souveraineté, qu’il conquiert et préserve avant tout par la lutte concrète sur le terrain. Et ses organisations représentatives ne sont en fait que les instruments par lesquels il exprime cette souveraineté. Ces organisations ne disposent pas d’une souveraineté «en soi», en dehors du Peuple et de sa lutte pour imposer la souveraineté populaire. Et chez nous la souveraineté ne peut se concevoir valablement que sur les ruines du régime autocratique déchu, abattu. Mais dans le contexte actuel, où l’autocrate est encore debout, ne pouvait affirmer, avec quelques raisons, la souveraineté de la conférence qu’à une condition bien précise : que celle-ci soit le reflet des aspirations, des exigences et des revendications du Peuple, qu’elle serve d’instrument et d’écho aux luttes populaires qui contribuent à affaiblir le régime, et qu’elle s’appuie sur celles-ci, et évolue en symbiose avec elles.

         Mais ce ne fut pas cette voie que suivit notre CNS. Celle-ci s’est évertuée, au contraire, à enrayer les luttes devenues soi-disant superflues, à se mettre en dehors de celles-ci. Son premier soin fut en effet d’exiger l’arrêt des manifestations populaires pendant la durée de ses travaux, sous prétexte de pouvoir «débattre dans la sérénité». Et on peut rappeler ici tous les efforts déployés par le présidium pour tenter d’éteindre les incendies que les luttes populaires continuaient d’allumer ici et là, au port, chez les enseignants, à la sucrerie d’Anié, par exemple. S’écartant des aspirations du Peuple pour s’isoler dans des sphères juridistes, se mettant en dehors des luttes du Peuple, des luttes de la «rue», la CNS n’avait rien sur quoi s’appuyer pour faire valoir, pour exercer la souveraineté qu’elle avait proclamée. Celle-ci ne pouvait être que fictive, une souveraineté de pacotille qui, comme l’a dit le Parti Communiste du Togo, ne dépassait pas les limites de la salle Fazao (et encore!).

Souveraineté par rapport au despote autocrate Eyadéma et à son RPT-Etat ?

Les exemples sont en effet fort nombreux de l’incapacité congénitale de cette CNS à faire appliquer ses décisions «souveraines», et la presse privée s’en est d’ailleurs souvent fait l’écho:

  • la publication des décisions, dans le Journal Officiel comme loi de la République, continue à dépendre du bon vouloir de l’autocrate;
  • l’interdiction faite aux ministres, aux anciens ministres, aux dignitaires du RPT de sortir du territoire national sans autorisation était ouvertement et impunément bafouée;
  • le blocage des biens du RPT décidé par la CNS n’ a même pas vu un début d’exécution. Les pontes du RPT se sont contentés de déménager tranquillement «leurs» affaires (fruits de vols, de pillages et d’extorsions) sous l’œil impuissant des conférenciers;
  • des voitures Mercédès ont pu tranquillement quitter le parc gouvernemental sous prétexte d’aller «aider le gouvernement ivoirien»;
  • des bourreaux et tortionnaires sommés de se présenter devant l’«Auguste Assemblée» n’ont pas daigné obtempérer;
  • Et il y eu le fameux coup de force du 26 août qui montre ce qu’Eyadéma pouvait faire de cette conférence et qui remettait la «souveraineté» qu’elle s’attribuait à sa véritable place. Rappelons que c’est la «rue» qui l’a sauvée.

Nos conférenciers étaient heureux de s’en tirer à bon compte, mais incapables d’en tirer les enseignements nécessaires de ces derniers événements. C’est ainsi qu’ils préfèrent s’en prendre à Koffigoh qu’ils ont eux-mêmes élu en toute connaissance de cause, pour l’accuser de lenteur, de mollesse devant des décisions qu’ils n’ont pas eu la volonté politique de prendre eux-mêmes. Pratique hypocrite, politicienne propre à leur milieu.

 Souveraineté populaire ?

 Mais la souveraineté, ce pouvoir politique suprême au-dessus duquel il ne saurait y avoir aucun autre, concerne également nos rapports avec l’extérieur; elle implique donc le refus de toute dépendance, de toute soumission à l’égard d’un pays étranger. Il est donc inutile, sinon trompeur et mensonger, de parler de souveraineté à propos d’une conférence inspirée, initiée par la France, financée par elle, organisée et réalisée sous la supervision de son ambassadeur. Il est d’ailleurs symptomatique que les mots «néo-colonialisme», «impérialisme», «lutte anti-impérialistes», furent absents du vocabulaire de la Conférence. Et à plus forte raison les mots «impérialisme français».

Il est inutile, sinon trompeur et mensonger, de parler de souveraineté, à propos d’une conférence qui reconduit les Plans Ajustement Structurel (PAS), ces plans diaboliques et de ruine déjà appliqués par le régime Eyadema, et par lesquels les grands prédateurs impérialistes renforcent leurs ingérences et leur domination, dictent et imposent des politiques économiques et financières contraires aux intérêts de nos pays et de nos peuples. Les Plans Ajustement Structurel (PAS) sont incompatibles avec la souveraineté nationale populaire.

Souveraineté nationale ?   Par rapport à l’étranger, aux puissances impérialistes ? Sûrement pas.

Que dire donc de cette conférence qui au-delà des mots de la phrase ronflante, n’a jamais été ni «nationale» ni «souveraine» ? Une immense duperie, disons-nous. Pire, une dangereuse duperie, par les illusions qu’elle a pu semer dans certains esprits. Certains ne l’entendent pas de cette oreille. Ils continuent à défendre de bonne foi ou par opportunisme «leur» conférence, alors que l’orage menace. Et ils mettent en avant des arguments divers. Par exemple, ils parlent de nombreuses révélations faites au cours de la conférence, et qui nous ont permis de nous informer à grande échelle sur la nature et les pratiques barbares, sanguinaires, fascistes, et la corruption du régime autocratique. Il s’agit notamment des révélations:

  •  sur les nombreuses atrocités commises contre le Peuple (Agombio, Otadi, Mandouri, les arrestations et détentions arbitraires, les tortures, les assassinats…
  • Les exactions commises dans le Nord, notamment dans la Kozah, et plus particulièrement à Pya, permettant à plusieurs de comprendre que «les Kabye eux aussi ont souffert du régime».
  • Les pratiques crapuleuses et sordides, les vols, les détournements de deniers publics et autres malversations...

Une autre série d’argumentations met plutôt l’accent sur les résultats institutionnels qui seraient plus que probants, avec la mise en place des institutions de la transition. La Conférence serait une étape importante vers l’État de droit. Voyons ce qu’il en est dans la réalité.

       A propos des révélations

Des révélations souvent horribles ont eu lieu dans les interventions qui ne pouvaient que susciter l’émotion. Qui n’en serait pas touché ? Cependant, force est de constater les limites de ces révélations dans de telles circonstances, tant dans leur contenu qu’en ce qui concerne leur portée politique, et ce pour plusieurs raisons: tant qu’Eyadema et sa clique restent debout, qu’ils ne sont pas complètement défaits, ils gardent la main sur de nombreux dossiers; par ailleurs, ils tiennent en otage une bonne partie de la population et de nombreux compatriotes ont effectivement refusé ou ont été empêchés d’aller témoigner, par crainte de représailles; de nombreux dignitaires actuels de l’«opposition» eux-mêmes sont issus des rangs du RPT; ils y ont fait leur beurre, ont parfois participé aux abominations, aux crimes et turpitudes du régime, et ne tiennent pas du tout à être éclaboussés par des révélations trop poussées qui aboutiraient à l’ouverture de leurs propres dossiers.

Les limites de ces révélations étaient également visibles dans le fait que, malgré l’horreur et le dégoût qu’elles ont suscité, elles n’étaient suivies d’aucune sanction à l’encontre des coupables. Et pour cause: la Conférence nationale «souveraine» n’en avait ni la volonté ni les moyens. Elle s’est donc contentée d’inviter voleurs, bourreaux et autres tortionnaires «à venir s’expliquer». On sait la réponse que ceux-ci lui ont donnée, à commencer par leur chef de file Eyadema: le dédain le plus total, si ce n’est la défiance. Pour le reste, en particulier concernant les sanctions, la conférence, de façon «souveraine», a préféré s’en remettre au gouvernement de la transition, et à des commissions dont un homme d’État français a pu dire: «Quand je veux enterrer une question, je nomme une commission».

Ces révélations n’ont donc été que l’occasion de défoulement collectif sans grande conséquence pour les criminels, si ce n’est qu’ils ont regagné en audace, pratiquement sûrs de leur impunité, ayant mesuré la force réelle de l’ «Auguste Assemblée». L’attitude hautaine qu’adopta par exemple un DAHUKU PERE, vers la fin de la conférence, est à cet égard fort éloquente. Pire, ces révélations ont été un véritable gâchis, pour le Peuple, leur coût paraît trop élevé. Elles ont inutilement mis en danger la vie de nombreux citoyens honnêtes devenus déjà la cible des sbires d’Eyadema, surtout ceux qui sont originaires du Nord, et en particulier de la Kozah.

Et ceci est encore plus dramatique pour ce qui concerne les FAT. Il est bien connu qu’une armée réactionnaire est un corps où la pénétration des idées démocratiques est une tâche difficile, ardue, délicate. Et surtout lorsqu’il s’agit d’une armée mercenaire comme les FAT. Ainsi les révélations faites par des soldats à la CNS, non seulement ont mis leur vie en péril, mais elles ont aiguisé la vigilance des officiers fascistes et pro-régimistes qui désormais traquent déjà avec rigueur, pour les isoler et les liquider, les porteurs d’idées démocratiques au sein de cette armée. C’est donc un mauvais coup de plus porté au Peuple et à la lutte démocratique, un véritable gâchis, surtout quand on sait que les tortionnaires et bourreaux ne sont, quant à eux, nullement inquiétés. Mais la CNS a-t-elle été réellement une étape vers l’État de droit ?

       A propos de l’État de droit

Si l’on considère que les libertés démocratiques, individuelles et collectives sont l’un des fondements de l’État de droit démocratique, force est de reconnaître que celles dont jouit actuellement notre Peuple, dans des conditions certes encore fragiles, ne doivent rien à la CNS. Elles ont été conquises bien auparavant, et sont le fruit des luttes menées par le Peuple, particulièrement depuis le 5 octobre 1990. Que ce soit par exemple la liberté d’expression, d’opinion, d’association, de circulation, de conscience et de religion, ou que ce soit la réhabilitation du 27 avril. Un exemple pour illustrer l’importance décisive de la lutte populaire dans la conquête de ces droits: on se rappelle qu’au début de l’année 1990, le pouvoir déclarait, après un simulacre de «consultations populaires», que «les Togolais ne veulent pas du multipartisme». Mais quelques mois après, des partis politiques se créaient légalement et l’on promulguait une «Charte des Partis». C’est qu’entre-temps, le Peuple est descendu dans la rue.

La Conférence quant à elle n’a rien apporté en matière de droits démocratiques. Au contraire, par son incapacité à appliquer le droit, à assurer une réelle transition démocratique, elle constitue une régression par rapport aux luttes, et une régression bien dangereuse. Se voulant «une étape vers l’État de droit», affirmant sa vocation éducative en la matière, et exigeant pour cela une large couverture médiatique, elle fut néanmoins incapable de dire le droit.

Ainsi, pour marquer sa rupture avec le régime autocratique, arbitraire du despote Eyadema, l’«Auguste Assemble» se devait d’appliquer la loi pour frapper les dignitaires les plus corrompus, les plus criminels, les plus décriés de ce régime abhorré, ainsi que l’exigeait d’ailleurs le Peuple. Cela aurait dû être l’acte véritablement fondateur d’un nouveau régime, en même temps qu’une leçon et un avertissement à grande échelle pour l’avenir.

mgr-philippe-kpodzroMais on sait qu’il n’en a rien été. A la notion du droit, de la loi, la CNS a substitué les notions bien chrétiennes de «grand pardon», de «contrition», de «réconciliation», notions sans doute respectables, certes, mais qui relèvent de la foi, c’est-à-dire du domaine privé, et qui n’auraient pas dû intervenir dans une instance censée discuter des affaires du pays, de manière «souveraine», c’est-à-dire en mettant tout à l’aune de la loi et du droit. Mais faute de cela, de grands criminels, qui ont causé les torts les plus graves au Peuple togolais, sont transformés en humbles «pêcheurs», à qui l’on demandait seulement de faire acte de contrition.

Le clergé catholique, protestant, et les dignitaires musulmans ont largement contribué à la consolidation de ce régime autocratique et criminel. Maintenant, ils s’efforcent de protéger ses principaux dignitaires et leur chef de file Eyadema, au nom du «grand pardon», alors que ces derniers n’ont rien renié. Il y a une certaine et cruelle ironie à voir ces criminels se pavaner, sûrs de leur impunité par les vertus du «grand pardon», alors que dans le même temps, la CNS ne cessait de lancer des appels à la police autocratique, et lui demander d’aller «sévir» contre les voleurs du port de Lomé. C’est-à-dire contre les travailleurs et leurs mouvements protestataires. Bref, cette conférence fut une négation du droit sur toute la ligne.

Quant aux institutions de la transition, de quel poids pèsent et pèseront-elles face à un Eyadema disposant de toute sa force militaire ? Que peuvent le Premier ministre, le HCR ? Rien ! Sinon continuer à négocier avec un profil bas. Ainsi, ni face à l’impérialisme, français principalement, ni face au pouvoir autocratique du despote Eyadema, la conférence n’a été ni nationale ni souveraine. Elle n’incarnait ni ne défendait la souveraineté nationale ou populaire. Ce n’était qu’une mascarade, mais une mascarade aux conséquences néfastes pour notre Peuple et pour notre pays.

 

Oui aux «États généraux du Peuple» !

 

Les «conférenciers» ne veulent pas du renversement du régime autocratique-despotique d’Eyadema. La manifestation concrète de cette politique de conciliation est leur attachement au mot d’ordre de «transition pacifique à la démocratie», et à cet autre mot d’ordre fallacieux de «vide politique en cas de démission du chef de l’État». Mots d’ordre qui reviennent dans la pratique et même dans leur esprit, au refus de lutter pour le renversement de l’ordre bureaucratique, despotique, autocratique apatride, et à l’aplatissement devant l’autocratie arrogante et l’impérialisme.

Ces «opposants démocrates» et «conférenciers», qui caressent l’espoir de parvenir au pouvoir d’Etat néocolonial, ont freiné et continuent de freiner le mouvement insurrectionnel populaire, la lutte émancipatrice, l’esprit de combat de la «Rue»: des jeunes, des ouvriers et des travailleurs et des Peuples qui réclament la démission immédiate et inconditionnelle du fasciste Eyadema. Les voilà qui déjà s’en prennent aux auteurs de graffiti, qui interdisent les manifestations populaires, qui s’attaquent aux milices populaires (Ekpemog) et s’efforcent de les désarmer, et qui se livrent à un odieux amalgame entre les bandes de casseurs et de pilleurs à la solde du despote Eyadema et les masses populaires qui, légitimement ne font que se défendre. Cette attitude et ces pratiques se situent en fait dans le prolongement logique de cette conférence, et confirment l’hostilité constante des «conférenciers», leur méfiance congénitale envers le mouvement insurrectionnel populaire et leur volonté de le désamorcer, de le briser. C’est pourquoi, face aux ennemis du Peuple (l’impérialisme français principalement, le despote Eyadema et sa bande) et à ses faux amis, nous ne pouvons que réaffirmer avec force:

Conférence Nationale Souveraine ? Oui !

Mais seulement après la démission d’Eyadema et de sa clique !

Après le renversement du pouvoir autocratique !

Oui aux États généraux du peuple !

Paris, le 7 novembre 1991

CTCL -Comité Togolais pour la Culture et la Liberté

Bruxelles, le 15 août 2016

Introduction à la Nouvelle Édition par Togo En Lutte

Le front des Organisations Démocratiques Togolaises en Exil.

Infos: www.togoenlutte.org       Contact: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

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